Michel Leter

 

MONOPOLE DE L'UNIVERSITÉ ET PENSÉE UNIQUE

appel pour l'abrogation de l'article 4 de la loi du 18 mars 1880

qui frappe d'interdiction les universités privées

et fondation de l'université libre de Paris

 

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En France, l'enseignement supérieur est libre...mais pas l'Université !

De nos jours, il est convenu de déplorer le délabrement de l'Université. Cependant, l'observateur attentif aura noté que ces jérémiades ne sont pas toujours exemptes de pharisaïsme. En effet, elles émanent de vertueux personnages qui, pour la plupart, n'ont jamais fréquenté l'Université que pour y venir toucher un salaire (une fois sortis des "grandes écoles" où ils laissent l'essentiel de leurs forces).

Partant, de cette indignation unanime, il ne faut pas attendre une action vigoureuse car, aussi vrai que nul n'est plus zélé à fustiger l'ENA qu'un énarque, nul n'est moins pressé de scier la branche sur laquelle il est confortablement assoupi qu'un révolutionnaire normalien. Ceux qui se lamentent sur le naufrage de l'Université n'en concluent pas qu'il conviendrait d'en appeler à la société civile mais entretiennent cette superstition que, bien qu'étant à l'origine des maux de l'Université, les hommes de l'Etat sont seuls capables d'y remédier.

Ainsi, parler de réforme c'est encore éluder le problème car c'est toujours s'en remettre à l'Etat, qui en matière d'éducation a trop de pouvoir pour en faire usage. Comme le résumait Frédéric Bastiat dans son prémonitoire Baccalauréat et socialisme, «le monopole frappe d'immobilisme tout ce qu'il touche(1) ». Si nos bienfaiteurs n'ont que la réforme à la bouche, c'est pour mieux nous prendre à témoin de son impossibilité - la politique nationale ne consiste qu'à éviter de jeter deux millions d'étudiants dans des rues que, bon an mal an, il faut bien qu'ils arpentent avec plus d'assiduité que les amphithéâtres surchargés de l'Université.

Le ministre et son client, l'étudiant "contestataire", oublient l'essentiel, ce paradoxe vertigineux qui est à la source de l'incompétence de nos élites : la France est la seule démocratie qui prohibe la fondation d'universités libres (gageons que seules les démocraties populaires, Cuba, le Vietnam, la Chine et la Corée du Nord sont aussi "progressistes").

Mais objectera l'initié, ne disposons-nous pas de nombreuses facultés libres ? L'enseignement supérieur commercial, notamment, n'est-il pas essentiellement le fruit de l'initiative privée ? Certes, le principe de la liberté est bien inscrit dans la loi du 12 juillet 1875 dont l'article premier proclame solennellement que « l'enseignement supérieur est libre(2) ». Lorsque je comparais la France aux pays totalitaires, n'ai-je pas cédé à la mauvaise foi du pamphlétaire au lieu de témoigner de rigueur juridique ? Car enfin, comment tel universitaire, qui de sa lointaine Amérique nous accorde, de but en blanc, tant de crédit, pourrait se figurer que le "pays des droits de l'homme" n'ait pas vu fleurir cent universités libres ? Eh bien, tout bonnement, parce que cette loi de 1875, qui affirmait le principe de la liberté de l'enseignement supérieur, a vite été corrigée par celle de 1880 qui, insidieusement, sans remettre en question le principe de liberté, l'a vidé de sa substance en interdisant aux établissements libres de prendre l'appellation d'université !

Et pourtant cette loi du 12 juillet 1875 n'avait rien d'audacieux : elle fut le résultat d'un compromis et sa portée resta limitée. Retenons que le texte accordait le titre d'université à tout établissement libre d'enseignement supérieur réunissant trois facultés (article 5)(3). Une telle disposition - qui permet encore aux deux grandes universités libres belges, de Bruxelles et de Louvain, de bénéficier d'un rayonnement international - aurait sans doute assuré l'expansion des universités libres en France si elle avait perduré.
En effet, il tombe sous le sens que seul le titre d'université aurait pu permettre aux universités libres de rivaliser à armes égales avec les universités d'Etat. De plus, les moyens financiers d'une concurrence dépendaient, à l'époque, de la maîtrise de la collation des grades. Or, le ministère public avait pris le plus grand soin de conserver le monopole de la collation des grades. Les élèves des facultés libres étaient tenus de passer leurs examens devant des jurys mixtes au sein desquels leurs maîtres se trouvaient strictement encadrés par des professeurs de l'Etat.
La portée, pourtant restreinte, de la liberté accordée en 1875 apparut encore excessive à la gauche, parvenue au pouvoir en 1879. Selon Gambetta, la loi de 1875 était restée « comme un os en travers de la gorge des républicains(4)» (entendez des jacobins qui entendaient, une nouvelle fois, confisquer la République au détriment des pères de la constitution de 1875). Dès qu'elle retrouva la majorité, cette faction- qui en politique intérieure comme en politique extérieure n'était décidément inspirée que par l'esprit de revanche - se hâta de régler ses comptes en écartant l'intolérable concurrence des universités libres, sous la baguette de Jules Ferry (Léon Daudet précisait «la clique à Ferry(5)» pour faire ressortir le contraste de notre homme avec la brillante personnalité de Clémenceau).

En vertu de la loi du 18 mars 1880, L'Etat récupérait le monopole de l'Université en retirant à tout établissement supérieur, quelle que fût sa taille et ses moyens, le droit de porter le titre d'université(6). Cette entrave majeure freina le développement des universités libres qui devaient désormais, et doivent toujours (à l'exception des universités catholiques fondées entre 1875 et 1880), se contenter du statut de faculté, d'institut ou d'école.
Le même article 4 confortait le monopole de la collation des grades en supprimant les jurys mixtes (« Les certificats d'études qu'on y jugera à propos de décerner aux élèves ne pourront porter les titres de baccalauréat de licence ou de doctorat(7)»). En d'autres termes, la circulaire du 16 octobre 1875 stipulant que «les chaires d'une faculté libre doivent être nécessairement occupées par des professeurs pourvus du grade de docteur » les universités libres se voyaient privées de l'opportunité de former leurs propres cadres.
Cette disposition ne se résume pas à une querelle de mots. Pour être en mesure d'attirer les étudiants, un établissement supérieur ambitieux doit porter le titre d'université sous peine d'être ravalé au rang d'un cours préparatoire. Aujourd'hui, à l'échelon du troisième cycle, le grand fleuve de l'Etat est seul habilité à capter ces petites rivières privées dont les cours sont priés d'être les moins capricieux possible.

 

Enjeux de l'abolition du monopole de l'Université

Le combat pour la liberté de l'Université - bien qu'ayant été livré (et perdu ?) à la fin du dix-neuvième siècle - n'est pas pour autant un combat d'arrière-garde. Nos enfants - qui ont l'imprudence de voyager - comprendraient-ils qu'au siècle de l'enseignement à distance, on se satisfasse d'un statu quo vieux de plus d'un siècle et qui ne repose sur aucun fondement académique. Quand l'éducation se confond ainsi avec la propagande, ce n'est pas la connaissance qui retrouve ses lettres de noblesse mais les démagogues qui s'en parent.
Mais l'enjeu - et les gauches de la troisième république l'avaient bien compris - va bien au-delà de la stricte question de l'enseignement supérieur. Tout laisse à penser que la fin du monopole de l'Université est la condition sine qua non de l'émancipation de la société civile en France et par conséquent du changement politique dans notre hexagone : il est vain d'espérer tant que la société civile n'aura pas les moyens d'empêcher l'Etat de cesser d'empiéter sur le domaine privé.
Ce petit argumentaire portatif - comme eût dit l'auteur de la petite cosmogonie du même nom - est destiné à convaincre ceux qui pensent que la France peut encore changer, par le seul "fiat" d'une volonté politique. En rappelant que le marasme politique est entretenu, quel que soit le régime, par les vestales et les aruspices de l'éternelle rue de Grenelle, j'entends, modestement, contribuer à les convaincre qu'aucune évolution n'est possible sans une émancipation du système français d'enseignement supérieur. Qui sera assez candide ou assez démagogue pour affirmer que notre pays est encore une terre d'alternance politique ? Comment comprendre qu'un militant de gauche puisse encore se dire "déçu" par le gouvernement en place ou qu'un militant de droite puisse se déclarer trahi par ceux, les mêmes, qui n'ont jamais été classés à droite que par leurs adversaires ? Comment enfin croire que « le peuple » - tant celui de gauche que celui de droite - qui à mesure qu'il s'appauvrit est de plus en plus tenu par la nomenklatura, va dans un sursaut venu d'on ne sait où se révolter et porter au pouvoir une élite enfin représentative d'autre chose que d'elle-même ?

Or, la clef de voûte du totalitarisme français c'est le système des grandes écoles, unique objet des soins de la caste dirigeante au détriment de l'Université car elle s'y fabrique une légitimité. L'Université, depuis le discours de Ramus(8), protégé du prince, a toujours été l'objet du mépris de l'intelligentsia. Dire qu'il convient de la réformer, c'est faire croire que l'action humaine se borne au législatif alors qu'il conviendrait de ne plus légiférer afin que les chercheurs cessent de faire mine de rechercher ce que l'Etat a déjà trouvé pour eux.

Premier sophisme des adversaires de l'Université libre : le monopole est le rempart de la laïcité

Les socialistes français, contraints de céder sur les monopoles industriels, s'arc-boutent aux monopoles éducatifs et culturels sous prétexte que l'introduction de la concurrence dans les domaines de l'éducation et de la culture n'est pas moralement acceptable. Ce raisonnement absurde revient à rendre moral le vol. Brillante casuistique ! Tu ne commettras point de crime, sauf coiffé du « chapeau magique, avec marqué dessus "HOMME DE L'ÉTAT", qui justifierait tous les mensonges, tous les pillages, tous les meurtres, à condition de le porter(9)». Tu ne voleras pas donc sauf muni du talisman de l'Education nationale, au motif que la liberté en matière d'éducation est immorale car "injuste".
L'inspiration d'une telle argumentation est païenne plutôt que laïque. Car le souci de justice affiché par nos gouvernants, bien que se donnant pour laïque, bafoue le droit et s'occupe surtout de nier ce que Claude Tresmontant appelait «le monothéisme hébreu (alors que la morale laïque, telle que la définissait son théoricien, le prix Nobel de la paix, Ferdinand Buisson, dans sa Foi laïque, loin de s'opposer au décalogue entendait plutôt le prolonger, par le biais de la sécularisation).

Outre son essence païenne, la prétendue vertu laïque du monopole constitue ce que Frédéric Bastiat appelait un sophisme économique. Ce sophisme leurre nombre de militants sincères, de gauche comme de droite qui, au nom de la défense de ce qu'ils croient être des valeurs républicaines, font le jeu d'une administration centrale plus occupée à soigner ses effets d'annonce et à caporaliser l'enseignement et la recherche qu'à libérer l'initiative.

Le premier sophisme des adversaires de l'Université libre consiste donc à justifier le monopole actuel en agitant le spectre du retour des bénéficiaires de l'ancien monopole, donné pour bien plus redoutable, les congrégations, ou pire, en prophétisant la mainmise de sectes tentaculaires que nos stratèges du salami ne peuvent percevoir que comme les avatars modernes des congrégations d'antan. Car, comme pour sauvegarder une once de vraisemblance, le catholicisme moribond n'est pas attaqué de front. Les matamores de l'intérêt général préfèrent dénoncer la prétendue infiltration des sectes dans l'éducation pour renforcer l'arsenal de textes liberticides qui la régit.
Or, c'est bien ainsi l'idéal d'impartialité laïque qui se voit, une fois de plus, trahi. Oui, cette laïcité, tant de fois invoquée, est bien ce qui fait défaut au sempiternel débat français sur la réforme de l'enseignement supérieur, où l'on confond éducation et instruction, action et politique, et où la sécularisation ne semble garantie que par l'intervention de l'État.

La communauté nationale s'accorde pourtant sur ce premier terme de la laïcité : la sécularisation. Mais les socialistes ont oublié son second terme, l'autonomie. Dès lors que la laïcité se borne à la sécularisation sans garantir l'autonomie des choix, elle sombre de facto dans une statocratie qui ne peut qu'instrumentaliser l'enseignement supérieur et ruiner l'indispensable "indépendance du grammairien à l'égard de César(10)".
L'accusation portée contre les catholiques d'avoir défendu cette loi pour tenter de l'utiliser à leur seul profit n'aura été, comme le soulignait l'industriel et juriste Henri Bionne, qu'un procès d'intention instruit par ceux «qui ne cessent d'attaquer la théocratie de l'Eglise pour y substituer celle de l'Etat(11)». Si la notion de théocratie de l'Eglise est un non sens en vertu de la séparation du pouvoir temporel et spirituel inscrite au cur du catholicisme romain, l'image, appliquée au culte païen de l'Etat, n'est pas sans pertinence.

Cette rhétorique de la guerre scolaire cache une réalité historique plus embarrassante pour nos donneurs de leçons démocratiques : l'inspiration libérale des grandes lois sur l'enseignement (dont la loi de 1883 n'est qu'un rameau tardif).
L'impulsion initiale fut donnée par la charte libérale de 1830 qui contenait la promesse d'une émancipation de l'enseignement. Les orléanistes - que l'on ne saurait soupçonner de cléricalisme - entendaient ainsi soustraire l'enseignement primaire et secondaire au monopole de l'Université, que la volonté du prince avait placé sous la tutelle exclusive de l'Eglise ! Il est donc absurde d'opposer systématiquement le monopole de l'Etat, qui serait légitime, au monopole de l'Eglise, qui serait doctrinaire, dans la mesure où l'histoire les a souvent confondus. De même qu'il est aussi injustifié de rattacher toute velléité de liberté à un complot clérical. L'article 69 de la charte stipulait « Il sera pourvu successivement par des lois séparées et dans le plus court délai possible aux objets qui suivent : [...] 8° L'instruction publique et la liberté de l'enseignement [... ». On notera que, dans les termes de cet article 69, la liberté de l'enseignement est présentée comme indissociable du projet révolutionnaire d'une instruction publique, déjà organisée aux Etats-Unis sous l'impulsion d'Horace Mann. Les lois Ferry de 1883 sur l'obligation et la gratuité n'ont pas scolarisé du jour au lendemain des masses françaises qui seraient restées illettrées jusqu'alors mais couronnent une uvre commencée par les libéraux en 1830.
Les fruits de la charte furent l'octroi de la liberté de l'enseignement primaire en 1833 et celui de l'enseignement secondaire en 1850. Quant à la libéralisation de l'enseignement supérieur, elle ne se dessina pas avant les années 1860, avec l'arrivée à l'Instruction publique de Victor Duruy, dans un contexte économique marqué par le traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre (triomphe posthume de Bastiat). Dans une lettre datée du 20 octobre 1863, Duruy demande à Napoléon III « d'accorder aux idées ce qu'Elle (Sa Majesté) a accordé aux colis de marchandises, la libre circulation... Nos facultés qui dorment dans le sein du monopole se réveilleront au contact de la liberté. La concurrence fera surgir les hommes que Sa Majesté cherche et qu'elle ne trouve pas(12)». Après que cette question fut portée devant le Sénat en 1868, la libéralisation de l'enseignement supérieur va être, on l'ignore, une des toute premières uvres de la jeune république (dont la remarquable activité législative prouve que l'on ne saurait la réduire, comme Daniel Halévy, à une «république des ducs») . Dès 1870, une commission extra-parlementaire s'était réunie pour se pencher sur la réforme. Après la guerre, c'est au chef de file des partisans de la liberté, Edouard Laboulaye, que reviendra l'honneur de défendre le projet.
S'appuyant sur les prémices du formidable mouvement de libéralisation qui présida à l'essor des universités américaines, Laboulaye peut se lancer dans une exhortation que nous pourrions encore faire nôtre aujourd'hui : « Pourquoi la liberté ne ferait-elle pas chez nous de pareils miracles ? Ne voyons-nous pas que les différentes classes de l'Institut reçoivent des donations considérables ? Qui n'a pas entendu parler du prix Monthyon, du prix Gobert, du prix Bordin ? Pourquoi nos Universités libres, municipales ou provinciales, seraient-elles moins bien traités, le jour où le patriotisme local n'aura plus à craindre ni les entraves de la loi, ni celles de l'administration ?(13) ».
Ce préalable libéral, pour Laboulaye, transcende le clivage entre cléricalisme et anticléricalisme. A l'instar des juristes américains, ajoute-il : « Nous ne sommes pas demandés si ces associations seraient religieuses ou laïques. Que des citoyens adoptent un genre de vie et un habit particulier, c'est là un engagement de conscience, un lien spirituel, absolument étranger à l'ordre civil et dont l'Etat n'a point à s'inquiéter, à moins que l'association n'ait un objet politique. La liberté religieuse n'est pas moins respectable que toute autre forme de liberté ; et nous n'avons aucun droit d'exclure de l'enseignement des Français et des citoyens, parce qu'ils s'y croient appelés par une vocation sacrée(14)».

 

Second sophisme des adversaires de l'Université libre : l'Université relevant de l'intérêt général, l'Etat est seul habilité à fixer les orientations de sa rénovation

Alors comment sortir du monopole ?
Si l'Université n'est pas réformable, ce n'est pas parce que chaque projet de réforme est salué par une salve de manifestations, mais que l'Etat, ayant seul l'initiative de la réforme, ne peut qu'échouer. Ce n'est pas l'Université en soi qui n'est pas réformable mais bien l'Université monopolistique. Seule la libéralisation, entendez la restitution à la société civile d'un domaine de compétences que lui ont confisqué les hommes de l'Etat, peut opérer les transformations dont l'Université française a besoin.
Comme le notait encore Laboulaye, « On ne fait rien pour nos Facultés actuelles parce que l'Etat se charge de tout faire et ne se soucie pas qu'on dérange la symétrie de son enseignement officiel ; mais il n'en sera plus de même quand un citoyen pourra fonder une chaire dans son pays natal, et qu'il attachera son nom à cette fondation(15)».
L'université française n'est pas réformable car, rançon de la fonctionnarisation moderne, la propagande de l'Etat enseignant peut être rapprochée du prosélytisme attribué aux congrégations d'antan.
Prêts à céder sur la question de l'impossible réforme, les partisans du monopole porteront l'argumentation sur un autre terrain en faisant - une fois n'est pas coutume - appel à notre haut sens de la hiérarchie des valeurs. Ils invoqueront l'excellence et spéculeront sur la disparition de la prétendue garantie didactique que confère la férule de l'Etat.

Troisième sophisme des adversaires de l'Université libre : le monopole est le garant de l'excellence, de la scientificité et de la finalité professionnelle de l'enseignement supérieur

C'est ici qu'il convient de redoubler de lucidité, car l'excellence est la figure de proue du totalitarisme français. Il est vrai que, la voyant poindre, on est d'abord séduit par l'allure attique d'une nation qui cherche ses élites au sommet de la pyramide des savoirs. Mais que l'on descende dans la cale et l'on découvre l'inanité des concours et l'immoralité de la redistribution. Car l'excellence républicaine est une hypostase des concours et non de l'action. Bombardées au service du bien public par la seule vertu de ces concours et y ensevelissant définitivement toute humilité, les pseudo-élites françaises oublient ce qu'elles ignorent et se jugent affranchies des contingences de la vie en société. Les hauts fonctionnaires se croient autorisés à voler leurs compatriotes qui, moins titrés, leur apparaissent, même s'ils s'en défendent, comme inférieurs. Nul ne serait moins «solidaire» qu'un major d'une grande école si la solidarité nationale ne servait pas d'abord à financer ses études et à honorer son confortable salaire. Cette Marianne méritocratique qui nous avait séduits au premier regard ne fait donc qu'orner une nef trop lourde, de plus en plus lourde, et qui ne tardera pas à précipiter la France dans les abysses, tels le Titanic hier et l'Erika aujourd'hui - par l'avant...

L'illusion de supériorité que procure la réussite à un concours de la fonction publique ne prédispose pas au service de la société civile mais à sa direction. L'excellence se convertit abusivement en légitimité. Ce que l'entrepreneur - que les bourdieuseries sociologiques présentent comme un égoïste, dans la mesure où il n'est pas naturellement enclin à se laisser détrousser par les chercheurs de grands chemins - n'obtiendrait pas sans le libre jeu de la coopération sociale, le titulaire d'un grade de la fonction publique l'obtient par une coercition antisociale (prélèvement obligatoire sans évaluation démocratique du service publique rendu par l'impôt).
A prétendre classer, la puissance publique déclasse. Le génie du totalitarisme français tenant à cette seule chimère du classement, le système des concours qui en procède s'en trouve invalidé.

A fortiori, le monopole de la collation des grades, que l'on nous présente comme la garantie suprême de la valeur des diplômes, s'avère en fait ce qui l'anéantit (ce phénomène rend "intransportables" la plupart des jeunes diplômés de l'Université). En effet, seule l'épreuve des choix de la société civile peut établir une échelle de valeurs des titres universitaires et non pas les certificats délivrés par les hauts fonctionnaires du sens, avatars contemporains des philosophes de la République platonicienne. Cette nullité de la valeur réelle des grades conférés par l'enseignement supérieur français fait tomber l'argument socio-professionnel des partisans du monopole.

Dans un tel contexte, pourquoi les meilleurs esprits de l'opposition se sont-ils bornés, depuis 1968 et la loi Faure qui suivit, à préserver le statut des grandes écoles ? Parce qu'ils jugent que ces dernières suffisent à sauver "l'élitisme républicain", d'autant que la bourgeoisie croit ainsi tenir sa progéniture à l'écart du naufrage de l'Université (que l'on impute à tord à 68 alors qu'il est programmé dès la loi du 15 septembre 1793 qui abolit symboliquement l'Université). Au lieu de miser sur la liberté universitaire, la droite est ainsi prise au piège du monopole, laissant l'essentiel du système universitaire en jachère.

Si les projets du ministre de l'Education nationale visant à "rapprocher" les grandes écoles des universités risquent de plomber encore un peu plus l'ensemble, force est quand même de constater que l'indifférence à l'égard du sort de l'Université repose sur cette croyance que l'entonnoir des grandes écoles suffit à promouvoir les justes, que leurs portes étroites suffisent à dégager l'élite dont on proclame que la France a besoin. Mais comment, avec la meilleure volonté du monde, encore qualifier d'élite une oligarchie qui ignore les lois rudimentaires de la coopération sociale, qui foule aux pieds les libertés au profit d'une redistribution qui ne profite qu'aux redistributeurs ? Oui, l'Etat français redistribue en monnaie de singe. Il ne donne que ce qu'il a déjà pris par la force; il ne donne un emploi qu'à ceux qu'il a déjà lui-même condamné au chômage; il ne donne un diplôme qu'à ceux dont il a déjà condamné l'ascension sociale.

A défaut de rétablir le droit d'aînesse, le grands commis de l'Etat socialiste s'accaparent ainsi les grandes écoles qui ne remplissent plus leur rôle de promotion sociale de jadis. Où est passé le tiers ? Où est passé ce tiers de normaliens issus des milieux populaires ? Les dieux n'autorisent plus dorénavant ce miracle permanent qui faisait qu'un descendant de paysans, comme Georges Pompidou, pouvait devenir président de la République. Les seuls nouveaux convives au banquet de l'élite républicaine sont les fils et filles d'enseignants.
Où est passé le tiers-état ? Quelle université saura former ses porte-parole ? On se souvient que la génération philosophique des lumières avait déserté les bancs de l'Université pour fréquenter les collèges jésuites, ce qui n'empêcha pas La Chalotais de sonner la charge dans son Essai d'Education nationale (salué par un certain Voltaire, ancien élève des jésuites), et les parlements de "remercier" la Compagnie de Jésus en l'expulsant de France (1762) - Les gallicans comme les jacobins détestent qu'on innove avant eux.

Il faudrait donc que notre système d'enseignement supérieur fassent des citoyens alors qu'aujourd'hui ils ne fait que des électeurs. Les oligarques qui distribuent les diplômes comme des indulgences s'assurent peut-être une clientèle pour les prochains scrutins mais condamnent la démocratie. Car, une fois confronté au marché du travail, l'électeur diplômé d'aujourd'hui n'est autre que l'abstentionniste de demain.

 

Quatrième sophisme des adversaires de l'Université libre : le monopole permet de lutter contre le paupérisme

Voyant ruiné ce sophisme de l'excellence, nos adversaires ne manqueront pas d'agiter le spectre du paupérisme. Or ce paupérisme, contre lequel on entend ériger l'université en rempart, n'est pas, comme l'avait décrété Marx, l'effet de la liberté économique mais la fleur la plus vénéneuse du monopole. Privé de tout, et en premier lieu de bien, le peuple de gauche a été élevé dans l'idée qu'attenter à la propriété d'autrui constitue un acte de justice sociale. Il est entendu que le libre jeu de l'action humaine, qui se manifeste par l'échange de biens, ne peut vouer l'étudiant qu'à la précarité. L'Etat socialiste croit pouvoir corriger cette "injustice" en attribuant des diplômes qui ne sont reconnus que par lui-même (nationalisant l'exclusion, en quelque sorte).
Or, la gratuité de l'université n'a pas pour objet ni a fortiori pour résultat de "réduire les inégalités" mais de transformer les candidats et les impétrants en clients : la carte d'étudiant tient lieu de carte de fidélité et le doctorat d'exeat pour l'ANPE.
Rappelons à nos généreux protecteurs qu'ils sont les principaux producteurs de précarité sociale. Comment légitimeraient-ils leurs multiples interventions sans leurs chers pauvres ? (récusons, une bonne fois pour toute le terme d'exclus, euphémisme prisé par la gauche caviar, car il permet de rejeter rhétoriquement les responsabilités de l'exclusion sur les autres, c'est-à-dire sur ceux qui s'enrichissent sans appauvrir leurs compatriotes). Les pauvres sont les premiers frappés par l'impôt levé pour remplir le tonneau des Danaïdes de l'Education nationale (l'exonération massive de l'impôt sur le revenu ne parvient pas à dissimuler l'injustice - parlons plutôt d'immoralité - de l'impôt indirect qui, par le biais de la TVA, frappe d'abord la consommation de masse).
L'Université n'est donc pas gratuite pour les étudiants pauvres. D'autant que les titulaires du baccalauréat (cette peau d'âne comme on disait jadis, au temps où il valait quelque chose) ne récupèrent qu'une part infime des sommes soutirées à leurs parents puisque la République dépense beaucoup plus pour un élève des grandes écoles que pour un étudiant lambda (d'autant que cet élève étant salarié beaucoup plus tôt, ils est seul à pouvoir rêver encore de profiter des vestiges du système de retraite par répartition).

En dernière analyse, il est illusoire de penser qu'un pouvoir absolu, qu'un pouvoir fondé sur la ruine de la propriété individuelle puisse conduire à la justice en général et à la "justice sociale" en particulier. Or, de même qu'il n'y a de salut et de condamnation qu'individuels, il n'y a d'éducation que de la personne. Toute conception collective de l'éducation conduit à la primauté de la propagande sur l'instruction. Il en va de même pour le financement des universités : tout financement par voix de prélèvement aveugle (l'impôt) conforte l'hégémonie du collectivisme dans l'Université et assure son règne dans les esprits des jeunes diplômés qui sont destinés à gouverner le pays.
Le monopole de l'université ne frappe pas seulement les plus pauvres mais empêche aussi les moins pauvres de s'enrichir tant au sens spirituel que strictement pécuniaire du terme. A l'image de l'action culturelle qui dessert la création qu'elle prétend protéger en provocant l'évasion, voire la disparition des collectionneurs, le monopole de l'Université ne favorise pas le progrès de la recherche (notamment en sciences sociales) mais conduit à la vassalisation de la classe intellectuelle française.

Libérer l'Université ce n'est pas rallumer la guerre scolaire mais doter le pays des moyens de former des chercheurs; c'est contribuer à dissiper ce climat de guerre civile entretenu par les fausses élites (qui sont les seules à profiter de la redistribution fiscale, les enfants de hauts fonctionnaires étant les grands bénéficiaires de la gratuité des études) et de préparer cette révolution qui ne sera "de velours" que si la communauté universitaire contribue à la placer sur le terrain des valeurs (éthiques-esthétiques-économiques). Alors seulement pourrons-nous à nouveau caresser l'espoir de soustraire la France à une paupérisation qui semble aujourd'hui inéluctable.

 

Comment sortir du monopole

1 - valeur morale de la possibilité pour un individu de financer l'université de son choix

Ayant souligné les sophismes du monopole universitaire, il convient maintenant que nous examinions les moyens d'en sortir ou du moins de desserrer son étau. Posons d'abord l'axiome qui guidera notre action : pour qu'un "système" d'enseignement supérieur puisse valoir et être évalué, il est nécessaire qu'un nombre substantiel et représentatif de citoyens le financent. Car l'impôt, qu'on le juge légitime ou pas, n'autorise pas l'estimation en termes de valeur. La contribution financière peut tenir lieu de baromètre de la valeur d'une université pour tel ou tel individu et, au-delà, pour une nation, sous réserve que le financement soit volontaire. Aussi la valeur de l'enseignement supérieur se détermine-t-elle à l'aune des contributions de ceux qui lui donnent les moyens de subsister en connaissance de cause et non en aveugle.
L'Université qui possède a priori une valeur éthique et heuristique - parce que la connaissance est une valeur - ne peut garantir ces deux valeurs fondamentales que si elle les articule à la valeur économique dans la mesure où le citoyen entend la financer à la hauteur de ce qu'il juge être son prix. Indépendament de la loi positive, il n'est pas de conception rationnelle du droit au sein de l'Université sans l'expression de cette volonté personnelle.

Le discours des opposants à la mondialisation selon lesquelles il y aurait des biens dont la valeur échapperait au prix de marché (livre, cinéma, art, éducation...) revient de fait à cautionner les prix de monopole établis par les oligarques.

Aujourd'hui, pris entre le marteau des pseudo-élites mondialistes (qui le vouent au sabir) et l'enclume des pseudo-élites souverainistes (qui prêchent un retour à Jules Ferry - en taisant ses édits et discours liberticides), le patriote français n'a toujours droit qu'à l'éducation supérieure de ses enfants mais toujours pas droit de la choisir.
L'élite dégagée par le monopole bicéphale (coq à deux têtes de l'Université et des grandes écoles) n'est pas formée au service de la société civile (avec qui de fait seuls coopèrent les entrepreneurs et les militants des associations qui ne sont financées que par les cotisations de leurs membres) car elle ne respecte que la propriété collective.
La propriété collective, c'est-à-dire la propriété de personne, a toujours pour but de ruiner toute propriété, donc toute possibilité de création individuelle. Or il n'y a de création libre qu'individuelle (jusqu'en art, comme l'illustra la fiction avant-gardiste des groupes).

Le naufrage actuel de l'Université témoigne de l'égarement dans lequel peut jeter l'amour du bien public, la passion holiste de l'humanité, qui va toujours de pair avec ce mépris de la création et donc de la personne. La critique littéraire universitaire est emblématique à cet égard puisque ses courants contemporains sont fondés tant sur la mort de l'auteur - sans lequel il tombe pourtant sous le sens que la recherche littéraire est impensable - que sur la réception d'un lecteur théorique et illisible. En fait, érigée sur les dépouilles de l'exégèse, la critique littéraire universitaire s'est montrée incapable de se structurer comme une discipline laïque et repose aujourd'hui essentiellement sur une herméneutique païenne(16).

En France, le chercheur en "sciences sociales" ne peut trouver que ce que l'intérêt général lui commande d'oublier.
Les intellectuels peuvent faire mine de défier ceux-là même qui produisent les richesses qui permettent de les employer, leur dernier mot sera toujours pour l'ordre. Chacun sait que des bréviaires aussi encensés que « L'horreur économique », dont on oubliera l'auteur, ne servent qu'à entretenir la paupérisation qui assure les rentes académiques ou mondaines. En nous répétant : « Vous prendre en main, c'est adorer le veau d'or », on nous voue au culte de l'être suprême.
Le principal objet du chercheur français est de disqualifier ses pairs. S'il abomine le marché, c'est que toute expression des choix, des préférences par les citoyens - misérables consommateurs - lui laisse craindre qu'un jour, faute de crédit(s), il doit mettre un terme à ses manigances et faire ses preuves non par la cooptation mais par le service ; Bourdieu est le prince de ces conservateurs, ceux qui consacrent des ouvrages pseudo-scientifiques à la "tyrannie des marchés" - c'est ce qu'on entend - tout en demandant aux entrepreneurs de produire toujours plus pour assurer son salaire ­ c'est ce qu'on entend pas.
Le pays ne peut davantage endurer ce paradoxe que l'Université d'Etat française est financée par un marché qu'elle abhorre, qu'elle entrave, tout en lui demandant toujours plus. Seule la création d'université libres permettrait de faire aujourd'hui renaître une vie intellectuelle aujourd'hui flétrie (à tous les sens du terme) par le monopole.

En France, la propriété collective n'a pas besoin d'apologistes, il est entendu qu'elle est préférable à la propriété individuelle. Pour secouer le joug du monopole de l'Université, il faut donc rendre aux Français la possibilité de donner. Or, c'est l'absence de puissantes fondations privées, conséquence des atteintes au droit de propriété, qui explique la pauvreté de la recherche universitaire française.

Que peut bien être la citoyenneté dans un pays où le don n'est qu'obligatoire ?

Les artisans de la libéralisation, Laboulaye déjà évoqué, Hippolyte Taine et surtout ce grand publiciste oublié que fut Emile Boutmy, fondateur de l'école libre de sciences politiques qui sera nationalisée après-guerre, avec l'infortune que l'on sait (puisqu'elle ne forme plus que les cadres du parti unique) ont toujours insisté sur le rôle des associations d'enseignement supérieur, d'autant que le cadre de la loi de 1901 ne pouvait pas encore être mis a profit. Comme le soulignait Emile Boutmy « il n'appartient pas plus à l'Etat de faire des essais et du nouveau en matière d'enseignement que de spéculer en matière de finances. Il n'y est pas propre ; il a je ne sais quelle roideur dans sa main; c'est la rançon de sa force et de sa grandeur. L'initiative privée est hardie, active et souple. C'est l'honneur des pays libres que des associations spontanées se chargent de faire l'épreuve de toutes les idées nouvelles, et la vigueur morale d'un peuple se mesure à la part que chaque citoyen prend dans ces sortes de tentatives(17)».
Pour Laboulaye (conteur à ses heures mais, surtout, juriste renommé, membre de l'Institut, professeur au Collège de France et auteur de nombreux ouvrages sur les Etats-Unis), ce désengagement de l'Etat doit conduire non pas à un appauvrissement de l'Université mais à la multiplication de ses moyens. Car, pour Laboulaye, la richesse d'un pays n'est pas fondée sur l'impôt mais sur le développement de la propriété : « La liberté, c'est le moyen de production, la propriété en espérance, et la propriété, c'est le fruit de la liberté, ou, si l'on veut, la liberté réalisée [...] Quels sont les pays libres ? Ceux qui respectent la propriété. Quels sont les pays riches ? Ceux qui respectent la liberté(18)».

Les moyens attribuables à l'éducation sont donc proportionnels à la richesse des citoyens et non à la puissance de l'Etat. Pour Laboulaye, cette liberté de l'enseignement, Université comprise, est le plus sûr rempart contre le socialisme, idée qui présida également à la fondation de l'Ecole libre de sciences politiques et d'HEC.

Contrairement aux libéraux classiques qui s'en tenaient à la défense des libertés privées, Laboulaye a compris l'importance des libertés sociales, au premier rang desquelles la liberté d'association qu'il tient pour une des clés de la modernisation de l'enseignement supérieur. Le déficit de démocratie participative en France résulte, à ses yeux, de l'absence de liberté associative. Il militera donc pour inscrire dans la loi un chapitre intitulé : « Titre II. Des associations formées dans un dessein d'enseignement supérieur » Laboulaye justifie ainsi cette préoccupation :  « Il est difficile de s'occuper de l'enseignement supérieur sans s'occuper en même temps des associations ; car il n'y a que des sociétés puissantes et permanentes qui soient en état de fonder de grands établissements [...] En Amérique, ce sont des associations religieuses ou laïques qui couvrent le sol de la République d'universités nombreuses et riches qui répandent partout l'enseignement supérieur, et le rendent accessible au moindre citoyen, sans rien demander à l'Etat.
« Dans sa haine des corporations et de leurs abus, la Révolution a porté un coup terrible au droit d'association, elle a mis la France en poussière, et l'a livrée, sans défense au pouvoir absolu. On revient aujourd'hui à des idées plus saines, on commence à comprendre que l'association est un des plus fermes remparts de la liberté. On sent également qu'il n'est possible de diminuer l'omnipotence de l'Etat qu'en facilitant le libre jeu des associations. Ce ne sont pas des individus isolés et impuissants, ce sont des sociétés libres et riches qui, seules, peuvent décharger l'Etat des fonctions qui ne lui appartiennent pas essentiellement.
« Aussi, en attendant qu'une loi, depuis longtemps promise, assure, en le réglant, le droit d'association nous avons cru nécessaire de déclarer, par notre article 10, que les dispositions de l'article 291 du Code pénal ne seraient pas applicables aux associations formées, soit pour encourager, soit pour propager l'enseignement supérieur (19) [...] ».

Nous avons la chance, depuis 1901, de pouvoir exercer le droit d'association mais, en raison de la politique de terre brûlée fiscale d'un Etat (qui peut ainsi se vanter d'être le premier collectionneur de France et présenter le bilan nécessairement flatteur de la Fondation de France), les puissantes fondations qui sont à l'origine de l'essor des universités américaines nous font encore défaut. Toutefois, et c'est l'éternelle histoire de la poule et de l'oeuf, si nous attendons que les conditions financières soient réunies, nous ne formerons jamais les responsables capables de les réunir... C'est pourquoi les universitaires (et plus seulement dans les facultés d'économie et de droit, qui sont les os qu'on laisse à ronger aux partisans de la liberté économique) doivent préparer l'alliance des entrepreneurs et des pauvres spoliés par l'Etat avec le dernier carré des intellectuels dissidents.

Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille se satisfaire d'un appel des vertueux chercheurs aux politiques, de la vertu au vice. Nous n'avons pas l'hypocrisie de croire que l'Université est d'autant plus libre qu'elle est pauvre. Ce serait cautionner les prédateurs de la rue de Grenelle.

Car c'est bien, entre autres, les Turgots du vingt et unième siècle que la liberté universitaire doit permettre de faire surgir. L'alliance entre le savoir et l'initiative est donc, comme diraient nos adversaires, objective. Comment les entrepreneurs et chercheurs peuvent-ils encore tolérer des prélèvements obligatoires qui alimentent des "centres" et "laboratoires" dont la seule activité scientifique consiste à fournir les constructions théoriques destinées à légitimer la destruction des richesses ? N'est-il pas temps de restituer ne serait-ce qu'une part de ces prélèvements à une recherche indépendante dont l'objet serait de libérer le marché des idées, d'émanciper heuristiquement l'action humaine au lieu de s'occuper de son instrumentalisation sociologique, herméneutique et statistique ?

 

Comment sortir du monopole

2 - Projet et objectifs d'une association pour l'université libre de Paris

Une fois de plus la France va entrer en campagne électorale. Les municipales servant de galop d'essai pour l'élection, la seule, dont, quel que soit le vainqueur, il ne peut sortir qu'un président socialiste. Cette effervescence, pour factice qu'elle soit, peut être néanmoins l'occasion de travailler à faire sauter ce premier verrou symbolique : l'article 4 de la loi de 1880.

S'assignant comme premier objectif fédérateur l'abrogation de la loi de 1880, qu'il nous faut obtenir par une campagne politique auprès de nos élus (si tant est qu'ils aient encore quelque pouvoir) et auprès des candidats à la présidence de la République, une association pour l'Université libre devra d'abord se signaler par sa capacité à rassembler des compétences autour d'un projet précis, sans attendre que les conditions législatives nécessaires pour sa réalisation soient réunies.
Je propose donc de fonder une association pour l'université libre de Paris, non par parisianisme mais parce que la France est ainsi faite que c'est à Paris, unique détour du monde, qu'il conviendra de rendre visible, la première université libre depuis les années 1875-80.

Compte tenu de la faiblesse de nos moyens, il n'est pas question de fonder un établissement ex nihilo qui affaiblirait les facultés ou instituts libres de la capitale mais de les regrouper dans un tout qui assurera l'expansion de chacune de ses parties.
Compte tenu des principes de morale financière que nous avons rappelés plus haut et des considérations que nous venons d'énoncer, une association pour l'université libre pourraient exercer son activité auprès de la représentation nationale et en lien avec la communauté intellectuelle ainsi qu'avec les entrepreneurs et les militants associatifs :

§ Auprès de la représentation nationale, notre travail de sensibilisation doit consister à faire admettre les idées :
- de l'intérêt que représenterait pour l'ensemble de la nation, le droit pour les facultés, les instituts et les écoles supérieures libres (seules formes d'établissements supérieurs reconnues par la législation française) de se regrouper en universités libres, disposition qui figurait dans la loi de 1875 avant d'être abrogée en 1880;
- des multiples garanties qui seraient offertes par l'abolition du monopole universitaire de la collation des grades;
- du désengagement de l'Etat dans le financement des grandes écoles leur permettant de se transformer en universités libres et de répondre aux besoins de la société, au lieu de continuer à alimenter l'excroissance statocratique;
- d'une réforme fiscale restituant aux Français et surtout aux plus pauvres (dirigés actuellement sur les parkings de l'université de masse) la possibilité d'un libre choix.

§ Avec la communauté intellectuelle, il s'agira :
- d'interroger les facultés libres déjà existantes sur leur volonté de se réunir au sein d'une université puissante, dans un premier temps sur Paris, laquelle à l'instar de ses devancières de Bruxelles et de Berlin, porterait le titre d'université libre, aujourd'hui prohibé par la loi de 1880;
- de préparer la rénovation laïque de l'université, à savoir le développement d'un corps de disciplines émancipées des pseudo-sciences (telles que la sociologie, la critique littéraire, etc.) dont la fonction n'est pas d'organiser la connaissance ni de la faire progresser mais d'étayer les idéologies redistributionnistes - et affranchie de la monologie herméneutique et de l'holisme officiel qui permettent encore à l'Etat de se substituer à la société civile;
- d'animer des séminaires, voire des colloques, destinés à mettre au point les enseignements de la future université libre.

§ Avec les entrepreneurs et les militants associatifs il s'agira :
- de lever des fonds pour le fonctionnement de l'association et de la future université;
- d'étudier les formes de résistance au fiscalisme éducatif et les possibilités de répartition indépendante des sommes récupérées légalement par la société civile.

Qu'il soit bien entendu que je ne m'honore ici que du titre d'aiguillon et que ma modeste personne ne brigue rien.

J'ai, toutefois, la vanité de croire que je serai en mesure de contribuer à la recherche et à l'enseignement universitaire dès qu'ils sera possible de se soumettre aux redoutables mais exaltantes contraintes de la liberté.

Dans l'immédiat, je souhaiterais vivement recueillir votre sentiment sur ce projet et profiter de vos conseils et de vos suggestions.

Souhaitez-vous être associé aux travaux de constitution de l'association pour l'université libre de Paris et sous quelle forme ?

 

Dans l'attente d'une réponse par courrier électronique

michel.leter@libertysurf.fr

je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'assurance

de ma haute considération.

 

Michel Leter

 

NOTES

1. BASTIAT F., Baccalauréat et Socialisme, in Oeuvres complètes, tome IV, deuxième éditions, Paris, Guillemin et Compagnie, 1863, p.444.
2. BEAUCHAMP A. de, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, tome III (1875-1883), Paris, Typographie de Delalain frères, p.12.
Sur l'ensemble des questions relatives à la législation de l'enseignement supérieur libre signalons les deux ouvrages de référence de Pierre-Henri Prélot : Naissance de l'enseignement supérieur libre : la loi du 12 juillet 1875, Paris, PUF, 1987 et Les Etablissements privés d'enseignement supérieur, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1989.
3. « Art. 5. - Les établissements d'enseignement supérieur, ouverts conformément à l'article précédent et comprenant au moins le même nombre de professeurs pourvus du grade de docteur que les Facultés de l'Etat qui comptent le moins de chaires, pourront prendre le nom de Faculté libre de lettres, des sciences, de droit, de médecine, etc., s'ils appartiennent à des particuliers ou à des associations.
Quand il réuniront trois Facultés, ils pourront prendre le nom d'Université libre. » in BEAUCHAMP A. de Recueil des lois..., p.13.
4. Dixit Gambetta, cité par LIARD L., L'enseignement supérieur en France 1789-1893, T.II, Paris, Armand Colin, 1894, p.236.
5. DAUDET Léon, Fantômes et vivants, Souvenirs des milieux littéraires..., in Souvenirs et polémiques, Paris, Robert Laffont, 1992, p.22.
6. « Art.4. - Les établissements libres d'enseignement supérieur ne pourront, en aucun cas, prendre le titre d'Université. » in Recueil des lois..., p.388.
7. Idem.
8. Le discours de Ramus fut traduit en français sous le titre d'Advertissements sur la réformation de l'université de Paris, au roy. Ce discours n'était concevable qu'après la création du Collège de France à qui l'historiographie n'a conféré l'aura d'une institution libre que parce que les "humanistes" (entendez les contempteurs de l'Université) ont toujours invoqué l'autorité du prince plutôt que celle du pape. Les princes les récompensèrent sous la forme de rente académique, en attendant que la fonctionnarisation soit rendue possible par la conquête des privilèges universitaires autrefois attribuées aux religieux.
9. mot de François Guillaumat dans sa préface à l'ouvrage de Patrick Simon, Peut-on être catholique et libéral?, Paris, François-Xavier de Guibert, Paris, 1999, p.10
10. Caesar non est supra grammaticos « César n'est pas au-dessus des grammairiens » : cette citation est actualisée par KANT dans son « Qu'est-ce que les lumières ? » voir en annexe de la Critique de la faculté de juger, Gallimard, 1985, p.503.
11. BIONNE H., La démocratie, l'Université et la loi sur l'enseignement supérieur, Paris, Amyot, 1876, p.13.
12. « Lettre de Victor Duruy à Napoléon III, le 20 octobre 1863 », citée par J. Rohr, Victor Duruy, ministre de Napoléon III, Essai sur la politique de l'instruction publique au temps de l'Empire libéral, Thèse, Paris, 1967.
13. LABOULAYE E., Rapport fait au nom de la commission chargée d'examiner la proposition de loi de M. le comte Jaubert relative à la liberté de l'enseignement supérieur par M. Edouard Laboulaye, membre de l'Assemblée nationale in Beauchamp. E., Op. cit., p. 21.
14. Idem.
15. Ibid.
16. Je développerai cette analyse de la critique littéraire universitaire dans un ouvrage intitulé Apories de la critique littéraire avant d'étendre ces remarques à l'ensemble des sciences humaines, dans un livre qui portera le titre de Critique de la valeur herméneutique.
17. BOUTMY E., Quelques idées sur la création d'une faculté libre d'enseignement supérieur, Paris, imprimerie de A. Laîné, 1871, p.7.
18. LABOULAYE E., Le Parti libéral, son programme et son avenir, Paris, Charpentier, 1863, p.IX.
19. LABOULAYE E., Op. cit., P.20-21.

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