Michel Leter [1991]

 

Baumgarten, néologue de l'heuristique

© Presses du centre de recherches heuristiques, 1998

 

 

 Si la postérité a retenu Baumgarten, comme néologue de l'esthétique, elle a singulièrement oublié qu'il fut aussi celui de l'heuristique. D'après le Trésor de la langue française du xixe et du xxe siècle, le terme heuristique est employé pour la première fois - sous sa forme latine heuristica - dans le texte fondateur de l'esthétique philosophique, l'Aesthetica de Baumgarten. Dans les prolégomènes de cet ouvrage, Baumgarten définit l'heuristique comme "la science de la connaissance sensible". A l'incipit du chapitre premier de son Aesthetica, qu'il intitule justement "Heuristica" Baumgarten écrit : « L'esthétique (théorie des arts libéraux), doctrine de la connaissance inférieure, art de la belle pensée, art de l'analogue de la raison est la science de la connaissance sensible1.» Nous ne discuterons pas sur l'idéal de connaissance objective proposé par Baumgarten. Nous noterons simplement que c'est l'impératif heuristique qui pousse Baumgarten à poursuivre ainsi : « L'utilité principale de l'esthétique artificielle qui vient s'ajouter à l'esthétique naturelle est, entre autres choses, 1° de fournir une matière appropriée aux sciences qui doivent avant tout être acquises par l'entendement, 2° d'adapter ce qui est connu scientifiquement aux capacités de tout un chacun, 3° de rectifier la connaissance au-delà même des limites de ce que nous pouvons distinctement connaître, 4° de fournir des principes corrects à toutes les activités contemplatives et aux arts libéraux, 5° de faire que dans la vie commune on l'emporte sur tous dans ce qu'on a à faire, toutes choses étant égales par ailleurs2.»
Les prémisses heuristiques de l'esthétique sont posés. Contrairement à ses devancières, ce n'est pas la beauté en soi qui est la fin de l'esthétique mais bien "la beauté de la connaissance sensible". Avec Baumgarten l'esthétique est donc fondée sur une heuristique et non pas sur une herméneutique. Partant, il nous appartient historiquement de répondre à la question esthétique telle que Baumgarten la dessine (sans tracer de frontière entre la connaissance sensible des formes naturelles et celle des formes artistiques) et non plus à partir de la seule taxinomie hégélienne.

 

1. BAUMGARTEN, Aesthetica, traduction L. FERRY, Homo Aestheticus, Grasset, 1990, p.397.
Nous ne donnons pas la traduction de Jean-Yves Pranchère (Payot, 1988) non par ostracisme mais, parce que réalisée en seconde main à partir de l'allemand, elle comporte de nombreuses approximations (N.B. l'Aesthetica de Baumgarten est rédigée en langue latine).

2. L. FERRY , Idem.