Michel Leter [1992]

Contre Lang

épigrammes

 

© Presses du centre de recherches heuristiques, 1996

 

 

C'est Jack Lang qui a raison, tout est culture.

François Mitterrand, Lettre aux Français.

 

 

 

C'est précisément le culturel qui empêche, puis interdit, la possibilité de ce que notre nostalgie appelle le grand air d'une époque. " Il ne se passe plus rien à Paris ! " sans doute ; à condition de comprendre que c'est dans l'apparence du il-se-passe-à-tout-instant-quelque-chose-de-culturel ; et qu'il ne se passe rien non plus à New York, à Londres, à Moscou... La disparition du grand Air : c'est le culturel qui l'a relayé, absorbé, " relevé ".

Michel Deguy, Choses de la poésie et affaire culturelle.

 

 

 

Je reviens à ce siècle où nos mignons vieillis,
A leur dernier métier voués et accueillis,
Pipent les jeunes gens, les gagnent, les courtisent ;
Eux, autrefois produits, à la fin les produisent,
Faisant, plus avisés, moins glorieux que toi,
Par le cul d'un coquin, chemin au cur d'un Roi.

Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques.

 

 


 

 

IN MEMORIAM

 

 

1981

Contre l'avis de son ministre du budget, Monsieur Fabius, le Président Mitterrand exige un amendement exonérant les uvres d'art de l'impôt sur la fortune. Monsieur Lang, s'attribuant la paternité de l'idée, annonce lui-même aux citoyens « cette grande victoire pour la renaissance culturelle » en téléphonant à tout ce que la capitale compte de marchands.

 

1982

Monsieur Lang décrétant que les arts plastiques constituent le « secteur sinistré » de la culture croit y remédier en proposant un plan en 72 mesures... et Monsieur Claude Mollard. Ce dernier restera à la tête de la Délégation aux Arts plastiques jusqu'en 1986 et sera légionné d'honneur en février 1990, sans doute pour avoir : créé les FRAC (Fonds régionaux d'art contemporain) en donnant à une poignée de galeries parisiennes 80% des possibilités d'achat, liquidé de la pire des façons la biennale de Paris, mis à genoux l'enseignement artistique, et remercié les fondateurs du centre National d'Art contemporain de Nice.

 

1983

Lancement des FRAC et pérennité du FRIC.

 

 

1984

" Modernisation " de la législation sur les droits des auteurs, des artistes-interprètes et des producteurs. La loi Lang consolide le monopole de la SACEM en lui permettant d'encaisser les taxes sur les cassettes magnétiques et vidéo.

 

 

1985

Pour avoir pris ombrage de la trop voyante réussite méditerranéenne du centre National d'Art contemporain de Nice / Villa Arson et de sa gestion irréprochable (soulignée par un rapport de la cour des comptes), Monsieur Mollard va harceler jusqu'à l'écurement les responsables du centre.
Tout ce qui fut à marquer d'une pierre blanche sera occulté par le " commissariat aux archives " du ministère. La période 84-85 sera officiellement qualifiée de
« sommeil de la Villa Arson ».

 

 

1986

La bande a fini par payer. Buren est intronisé artiste officiel pour avoir poussé la répétitivité jusqu'à flatter les rayures des stores du ministère.

 

 

1987

Tandis que le ministre par intérim, Monsieur Léotard, s'empresse de faire pousser des parkings sur les sites archéologiques de sa bonne ville de Fréjus, Monsieur Lang entame une brève traversée du désert dans sa demeure de la place des Vosges que la Direction du patrimoine a eu « l'intuition » de restaurer avant son départ de la rue de Valois.

 

 

1988

Monsieur Lang écrit au Président dans l'espoir qu'il lui confie un grand « ministère de l'Intelligence et de la Beauté » au lendemain de la victoire aux présidentielles.

 

 

1989

Dans le cadre des cérémonies du bicentenaire de la Révolution, six artistes contemporains se prêtent au show Naissance d'une nation, censé commémorer la bataille de Valmy. A cet occasion, Monsieur Lang, de concert avec le ministère de la Défense, nous dévoile le ressort archaïque de la politique culturelle de la France : « Jean-Pierre Chevènement et moi-même avons souhaité retrouver le fil d'une ancienne lignée républicaine qui ne dissociait pas les arts et l'armée, qui n'opposait pas intellectuels et militaires, qui réunissait toutes les expressions artistiques et culturelles à tous les moments de la vie nationale, civile ou militaire ».

 

 

1990

Les courtisans sont récompensés, de Pierre Bergé à Dominique Jamet (martyr de l'ouverture, exclu du Quotidien de Paris pour avoir soutenu le Président), les fidèles sont nommés à la tête des grands chantiers du second septennat.
Monsieur Jamet se voit confier la présidence de l'association pour la future Bibliothèque de France. Hanté par les nouvelles technologies de la communication, il en oublie l'écrit et se prononce (avec le secrétaire d'État aux Grands travaux, Monsieur Biasini) pour la mise en silos des livres peu ou jamais demandés - si ce n'est par une poignée de chercheurs non médiatisables) : Enterrée la loyauté de Lyon Jamet envers le poète Clément Marot...
Quant à Monsieur Bergé, il reçoit en gage le grand opéra " populaire " de la Bastille. Au début de l'année 1990, nul n'est encore parvenu à en maîtriser les énormes machineries scéniques. La saison n'a pas commencé que la moitié du budget de la Direction de la musique se trouve déjà embastillée.

 

 

1991

Nous sommes encore en l'an I avant W. D. Euro Disneyland, agréé autant par la " gauche " (gouvernement) que par la " droite " (le conseil régional, qui s'active à connecter l'empire au RER). Mais le trust des " Années Rimbaud " se charge bruyamment de nous le faire savoir : nous sommes aussi en 100 après A.R. Le clou de la commémoration restera sans doute l'inauguration de la maison Rimbaud au pied de ce que le poète nomma " l'affreux roc d'Aden ". La phonétique yéménite ne peut rendre au ministre que le malheureux grognement " Rambo ", ce qui n'est pas de nature à désarçonner Monsieur Lang : Sylvester Stallone ne lui a-t-il pas garanti que c'est la lecture d'Arthur qui lui a inspiré le sobriquet du GI ? Pour ce service rendu à la France, l'acteur sera - comme tout le monde - fait chevalier de la légion d'honneur.

 

 

1992

A l'heure où l'Armée Rouge s'effondre et où de facto le ministère français de l'Éducation nationale redevient le plus grand employeur d'Europe, Jack Lang y succède à Lionel Jospin. Lang confie la construction d'un lycée sans finitions ni ouvertures, à un génie de l'architecture. Enfants, Parents et autorités locales refusent d'inaugurer la prison pour la rentrée... des contre-révolutionnaires à n'en pas douter.

 

 


 

 

1981

 

Pour aimer le musée
Que le dix mai nous offre
Il suffit d'avoir du coffre,
Et de s'en ouvrir à l'Élysée.
France, mère des Arts et de la parcimonie,
Que fait donc ce ministre au bras de Polymnie ?
Confondant grand écart
Et rose tyrien,
Il veut tout faire pour l'art
Où faire n'est plus rien.

 

 

 

1982

 

Non la France éternelle n'est plus cette illettrée,
Ce sont les beaux-arts qu'il décrète sinistrés.
Cruel remontant dès qu'il nous l'administre,
Le sinistre est plus doux qu'une idée du ministre.

 

 

 

1983

 

La décentralisation faite loi
N'est qu'un boulet en tout
Dont le centre est partout
Et la circonférence rue de Valois.

 

 

 

1984

 

La liberté n'a que l'esprit des lois.
Le droit d'auteur, c'est ainsi qu'ils arrivent.
Restent les auteurs mais, hélas ! ils écrivent.

 

 

 

1985

 

Malraux la fit classer
Pour que nul ne l'emporte.
Mollard ouvre sa porte
Pour nous la voir claquer.

 

 

 

1986

 

Tout le long des jardins du Palais-Royal, tout
Est bande et, par la bande, on arrive à tout.
Là où les filles de joie semaient leurs sarabandes,
L'érection du sculpteur n'a que les plates-bandes.

 

 

 

1987

 

Du culturel Léotard, nouveau moine,
Edifie ses parkings sur notre patrimoine.
Seul le contemporain sait, par de tels édits,
Tourner le bleu des Vosges en ligne de crédit.

 

 

 

1988

 

Zeus a l'univers,
Phébus la lumière,
Et Béré les finances.

Lang veut l'intelligence.

 

 

 

1989

 

L'âme de nos soldats sait tout vernir du crime,
Si la France enjoint qu'on manuvre la rime.
A Valmy, mirliton dit
acquisition,
Et le mirlitaire transcrit
réquisition.

 

 

 

1990

 

Le bien public finit quand on croit héberger,
Dans la maison du père comme dans celle du Bergé,
La griffe Saint-Laurent avec Saint-Honoré.
Jamet du même banc se croyant honoré,
Envisage illico de jeter en silos
Nos livres. Comme si Dominique en solo
Pouvait écarter Lyon, le secours de Marot !

Mais quelle est donc leur muse ici-bas,
Erato
Ou Errata ?

 

 

 

1991
ELLE EST RETROUVÉE

 

Inaugurant au pied de l'affreux roc
D'Aden le comptoir de la poésie rock,
Il jure à tous qu'en inventant Rambo
Stallone le grand traduisit Rimbaud.

Voilà pourquoi au pays de Jack Land
Mickey tient tant à fonder Disneylang.

le 10 novembre 1991

 

 

 

1992
LA FRANCE VAUDRA DEMAIN
CE QUE VAUT L'ÉCOLE*

 

Lang à l'éducation,

C'est Pan aux maths élém
Et Panurge à Thélème,

L'angle à l'imitation.

 

* Sentence d'Émile Zola inscrite au fronton
du collège Henri Cahn de Bry-sur-Marne.

 

 

 

PETIT GRÉVISSE DU GRAND BON EN AVANT DE LA CULTURE FRANÇAISE

 

Sur Malraux

Ne dites pas... Dites...
Le sceau du génie frappe Malraux a reçu le sceau
les pensées de Malraux. du génie sur la tête.

 

Sur Lang

Ne dites pas... Dites...
Il aurait voulu être garde. Il les
des sceaux garde
en cinq lettres en trois lettres